par Marcel Crupet

Qu’est-ce qui lie une orange sanguine sicilienne à une blockchain? Peut-il vraiment y avoir un lien entre un agrume avec de la pulpe violette et le registre numérique commun et immuable, dont les entrées sont regroupées en blocs ? La réponse est oui, ce qui unit ces deux choses très différentes, c’est Almaviva, la multinationale la plus innovante d’Italie, la reine du “numérique absolu”. 

Almaviva est une entreprise fondée en 1983 par Alberto Tripi, un ingénieur informatique romain passionné par l’innovation, ayant le sens des affaires et un regard ouvert sur le monde. Les chiffres de ce géant parlent déjà d’eux-mêmes : leader mondial des technologies de l’information et de la communication, 45 000 employés, près d’un milliard de chiffre d’affaire. Mais pour comprendre la véritable essence de cette multinationale, dont le nom n’a rien à voir avec le comte Rossini qui est le protagoniste du Barbier de Séville mais est l’acronyme qui résume les noms de famille du fondateur (Alberto, Marco, Viviana, Valeria), il suffit de regarder la structure qui abrite les bureaux à Rome.

La forteresse hyper-technologique qui accueille le peuple d’Almaviva est présidée  par trois tours très modernes qui portent le nom de trois génies italiens, tous d’une grandeur absolue : Leonardo, Galileo et Marconi. L’expression d’origine augustéenne, “Genius loci” est celle qui décrit le mieux l’essence du siège de ce géant du numérique. L’esprit du lieu apparaît en effet à première vue. Il suffit d’entrer pour comprendre que parmi ces murs très modernes de verre, de fer et de béton, les mots clés sont au nombre de trois : recherche, innovation, excellence. Des concepts fondateurs qui, à leur tour, tournent autour de la véritable étoile polaire de cette entreprise, qui est l’homme.

Aussi bien le fondateur et actuel président Alberto Tripi que le PDG, son fils Marco, ont placé l’être humain au centre de l’entreprise en suivant une équation simple : les produits d’Almaviva sont des produits intellectuels, résultat des compétences, des intuitions et des études faites par les gens, l’homme est donc l’épicentre immobile de cette multinationale.

En Italie, un symbole de ce type d’entreprise est celui créé par Adriano Olivetti. Tout comme les hommes du légendaire Adriano ont donné vie au premier ordinateur, les hommes du tout aussi légendaire Alberto dans les années 80 ont donné vie à des prototypes de robotique domestique. Ce qu’on appelle aujourd’hui Iot (Internet des choses) et des produits comme Alexia. Oui, cela semble incroyable mais dans les années 80, la mère d’Alexia était déjà sur le bureau de Tripi. A Almaviva, cependant, elle a dépassé la conception olivétaine de l’usine. Car ici, le respect de l’être humain a souvent dépassé même la logique du profit. En particulier dans la gestion des “call-centers”, un secteur dans lequel Almaviva est le leader incontesté, plus d’une fois la direction de l’entreprise, oubliant les profits, a cherché à sauver des emplois même lorsque leurs gros clients quittaient l’Italie pour économiser de l’argent en se délocalisant à l’étranger.

Seule une entreprise possédant cet ADN pouvait assembler des oranges sanguines et des blockchains. L’intuition initiale est une fois de plus brillante. Mais commençons par le début. Le nom du projet est à nouveau un acronyme. Il s’appelle “Rouge” et signifie “Red Orange Upgrading Green Economy”. L’objectif est de protéger le fruit typique de la Sicile contre la contrefaçon. Il s’agit de sauvegarder l’identité d’un produit et d’un territoire ainsi que les droits de ceux qui le produisent. En collaboration avec le Consortium pour la protection de l’Orange Rouge de Sicile IGP et l’Université de Catane, les ingénieurs d’Almaviva recherchent une solution technologique qui puisse rendre certaine l’identification de la production et faciliter sa circulation, en particulier à l’étranger.

Le résultat final est un label technologique qui permet l’identité et la traçabilité des célèbres oranges de Sicile. En substance, les techniciens d’Almaviva ont conçu une plateforme numérique basée sur la technologie Blockchain qui permet aux consommateurs et aux producteurs de garantir à tout moment l’authenticité du produit et le chemin qu’il a parcouru de la plante à la table.

Almaviva a donc fabriqué un beau produit, qui est surtout très efficace, typique de l’agriculture 4.0. Les oranges sanguines sont une excellence du “made in Italy” mais elles sont trop souvent victimes de fraude et de contrefaçon. Avec “Rouge” aujourd’hui, les producteurs et les consommateurs de ce mets italien vont enfin pouvoir s’y retrouver plus facilement. Et c’est l’un de ces produits expérimentaux qui peuvent devenir un jalon pour l’ensemble de la grande chaîne alimentaire.

Il y a quelque temps, Alberto Tripi, interrogé dans son rôle de chef des innovateurs de Confindustria, a déclaré : “Il n’y a pas de temps à perdre parce que la mondialisation n’attend l’indécision de personne et ne regarde personne en face”. Peu de gens en Italie l’ont écouté. Mais à Almaviva, ils l’ont fait. Et vous pouvez le constater.